Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Nos richesses antiques

Publié le par tolosa

Qu’on nous les rende

On sait que la Ville de Toulouse est en train de revendiquer un manuscrit d’un grand prix, ravi à sa bibliothèque en 1811 pour hâter la décision du ministre, notre ami Jean Rieux, maire de Toulouse, vient d’adresser le mémoire suivant au ministère intéressé :

Monsieur le Ministre,

Par votre lettre en date du 2 août 1919, vous avez bien voulu me faire connaitre que vous étiez disposé à examiner avec la plus grande attention la réclamation que j’avais eu l’honneur de vous adresser au nom du Conseil municipal et de la population de Toulouse, réclamation tendant à obtenir la réintégration à notre bibliothèque de notre ville d’un manuscrit précieux qui lui fut enlevé le 26 avril 1811.

Suivant votre invitation, j’ai l’avantage de vous fournir par la présente les précisions et les preuves que vous aviez le devoir de me réclamer.

L’évangéliaire de Charlemagne fut ravi à la bibliothèque de Toulouse à la suite d’une entente entre quelques membres de l’administration municipale de Napoléon 1er qui, le fait est bien connu, recherchait et se procurait par tous les moyens les souvenirs de son illustre prédécesseur Charlemagne.

Il est assez compréhensible que nous ne possédions plus beaucoup de traces des tractations secrètes qui eurent lieu à ce sujet : c’est la lettre que le maire, De Bellegarde, écrivit le 26 avril 1811 au bibliothécaire de la ville, l’abbé Dauzat, lettre par laquelle ce dernier était invité à envoyer le manuscrit en question dans le cabinet du maire sous prétexte de satisfaire un simple désir de curiosité (pièce annexe n°1) quelques heures après l’arrivée du document à la mairie ; les conseillers, qui avaient projeté de l’aliéner au profit du souverain, s’empressèrent de faire approuver leur projet par leurs collègues au cours d’une prétendue séance du Conseil municipale (26 avril 1811). Or, cette délibération hâtive ne fut précédée d’aucune convocation, elle ne fut suivie d’aucune autorisation préfectorale, elle ne porte aucune signature (CF. pièce annexe n°2). Elle est donc illégale dans la forme. Elle est plus encore dans le fond, car elle comporte la cession d’un bien communale à titre gratuit ; d’autre part, il est manifeste que les conseillers municipaux dont on avait arraché le vote par surprise ignoré totalement la valeur de l’objet qu’ils allaient faire perdre à la ville.

On ne saurait nous objecter qu’à cette époque même l’opinion publique et la presse locale semble avoir ratifié la décision du Conseil en n’élevant aucune protestation contre elle. En effet, l’année 1811, marque l’apogée de la puissance de Napoléon 1er et personne n’aurait élevé la voix dans une affaire où il était intéressé personnellement.

Or, c’est bien à lui personnellement que le don était destiné ; c’est dans sa collection particulière qu’il fut conservé jusqu’ne 1815. Nous estimons qu’à ce moment les biens personnelles auraient dû être divisés en deux catégories : ceux qui avaient été acquis régulièrement devaient revenir à l’Etat, les autres devaient être restitués à leurs légitimes propriétaires ; au nombre de ces derniers, nous plaçons sans hésiter l’évangéliaire toulousain.

Nous ne pouvons affirmer que des démarches aient été tentés à cette époque pour obtenir la restitution de cette œuvre d’art, mais nos archives communales conservent un dossier qui témoigne des grands efforts faits dans ce sens en 1889.

Le gouvernement ayant répondu sans bienveillance aux lettres que lui adressèrent d’abord le député Espinasse et le maire Perpessac (voir pièce annexe 2, 3, 4) une commission fut nommée pour étudier la question au point de vue purement juridique ; elle établie que les droits de la ville sur l’évangéliaire étaient encore plus fort qu’on ne l’aurait cru : son rapport fut entendu par le Conseil municipale qui prit la décision suivante motivée par de nombreux considérants :

« … a défaut de remise volontaire de ce manuscrit, M. le maire est invité à en poursuivre la restitution par toutes les voies légales, et d’ors et déjà le Conseil forme l’avis qu’il y a lieu de se pourvoir devant le Conseil de préfecture en autorisation aux fins d’intenter les dites poursuites et de plaider » (séance du 19 février 1840. Voir ci-joint pièces annexées 5, 6, 7, 8). Nous n’avons pas trouvé trace de ce procès et nous ignorons pourquoi il n’a pas été engagé.

C’est donc à tort qu’une partie de la presse parisienne a reproché dernièrement à la ville de Toulouse d’avoir attendu plus de cent ans pour revendiquer ces biens. Nous avons, au contraire, la preuve que le souvenir de l’injustice subie par notre ville ne s’est jamais effacé et que nos compatriotes n’ont jamais cessé de réclamer, soit verbalement, soit dans leurs écrits, l’évangéliaire dont la ville avait été dépossédée. (voir notamment les pièces annexes n°9, date de 1879 ; n°10 de 1878 et n°11, janvier 1914 ; n°2, lettres et journaux approuvant la réclamation actuelle).

Si nous donnons à nouveaux une forme pressante à notre revendication, c’est que l’occasion nous a été fournie par l’envoi temporaire du manuscrit en question à Toulouse même pendant la guerre qui vient de s’achever. Il ne m’appartient pas d’insister sur la manière très large dont notre ville à pratiquer l’hospitalité vis-à-vis des nombreuses collections nationales qui vinrent chercher chez elle un abri en même temps que l’évangéliaire ; cependant je suis obligé de vous rappeler que, malgré le dévouement et l’activité remarquable mis en œuvre par MM. les inspecteurs et conservateurs venus de Paris, cette hospitalité à coûté à la ville la dégradation de deux de ces monuments et de nombreuses journées de travail fournies par ses fonctionnaires (notamment pour l’assainissement des collections de la Bibliothèque Nationale arrivée dans un état d’humidité inquiétant). Il est bien entendu que nous ne formulons aucune plainte et aucune revendication à ce sujet, mais ces faits nous autorisent, croyons-nous,, à réclamer plus énergiquement que nous ne l’avions fait jusqu’ici la restitution du précieux manuscrit qui a appartenu pendant dix siècles à notre ville.

En nous plaçant à un point de vue plus élevé, qui est celui de la conservation des reliques du passé pour le compte des générations à venir, nous attirons votre attention sur le danger considérable que fait courir à nos richesses nationales leur entassement dans un bâtiment unique quelle que soit la vigilance des personnes chargées de leur garde. Notre évangéliaire a déjà failli périr dans l’incendie des Tuileries sous la Commune ; il a été encore très menacé au moment de l’invasion allemande en 1914.

Dans l’attente de votre équitable décision, j’ai l’honneur, Monsieur le Ministre, de vous assurer de sa très respectueuse et très dévouée considération.

Le Maire : Jean Rieux

(Midi-Socialiste – 15 octobre 1919)

Commenter cet article