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Le boeuf, l'ânesse et la bicyclette

Publié le par tolosa

Hier matin, vers 11 h 50, rue Notre-Dame, les promeneurs furent agréablement surpris en voyant se dérouler devant eux une « ferrade » dont le moindre mérite était son impromptu.

Au milieu de la rue, un bœuf, échappé des mains d’un boucher, s’escrimait à coups de cornes sur une pauvre ânesse qui, attelée à un chariot, n’avait pour la défendre ni la pique d’ « Agujetas », ni les rejons de capsir.

A deux pas d’elle, le conducteur, tel un picador démonté, et son propriétaire, M. Hippolyte Artin, domicilié 14 allée Saint-Agne et pour le moment blotti dans l’encoignure d’une porte, poussait de grands cris et faisait des moulinets pour effrayer le bœuf. Sur un quite savamment opéré par un spectateur, et après une maitresse ruade de la pauvre bête, le bœuf se décida néanmoins à courir sus à de nouveaux adversaires.

Un bicycliste s’offrait à ses coups. C’était M. Louis Badia, demeurant rue de Rennes. Le bœuf se précipita sur ce picador nouveau genre. Heureusement pour lui, M. Badia avait eu le temps de sauter à bas de sa machine, et, crânement, à la façon d’un Bombita, coiffant la brute de sa montera, avait posé sur les cornes du bœuf en furie sa bicyclette impuissante.

Le bœuf banderillé de la sorte, après de vain effort, pour se défaire de l’instrument gênant, reprit sa course à toute vitesse dans la direction du Pont-des-Demoiselles, mettant en révolution tous les quartiers paisibles que traversait cette baroque apparition.

Malgré tous les efforts faits pour le rejoindre on ne put y parvenir.

L’impressario est désespéré.

Étant donné la fierté naturelle de l’animal et son âge ― d’aucuns ont affirmé que le bœuf en question avait au moins 15 ans ― on suppose qu’il n’a pu survivre à l’insulte faite à sa valeur par le bicycliste, et a mis fin à ses jours dans quelque gouffre ignoré du canal.

 

(Midi-Socialiste – 14 décembre 1909)

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