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Inauguration de la Faculté des lettres

Publié le par tolosa

Manifestation contre le doyen ― Nombreux incidents ― Cris : « A bas Benoit ! Démission ! »

 

Hier matin, avait lieu la cérémonie de l’inauguration des nouveaux bâtiments de la Faculté des lettres.

Ces bâtiments sont situés au coin de la rue de l’Université et de la rue du Peyrou.

Ils sont destinés à remplacer le vieux local de la rue de Rémusat.

Cette solennité a été, comme on va le voir, l’occasion d’assez vifs incidents.

A l’intérieur, tout s’est passé régulièrement et avec calme, suivant le programme fixé et devant un paisible auditoire.

Mais au dehors, et durant tout le temps qu’à durée la fête, un groupe d’étudiants à manifesté bruyamment contre le nouveau doyen de la Faculté des lettres, M. Benoit.

 

L’origine du conflit

On connaît l’origine du conflit.

Ce sont les sujets stupides imposés par M. Benoit aux candidats à la première partie du baccalauréat ès lettres.

Ces sujets, choisis en dehors du programme, ont été la cause de l’échec d’excellents élèves.

La presse, aussi bien de Province que de Paris, a été unanime à protester contre cette mauvaise plaisanterie.

Et l’on sait que, d’autre part, les familles de ces candidats se réunissent en ce moment pour réclamer de l’autorité supérieure l’annulation de ces examens.

On comprend le très vif et très légitime mécontentement qui s’est emparé d’une partie de la jeunesse des écoles à l’égard de M. Benoit et qui a eu, hier matin, une première occasion de se manifester.

Ajouter à cela l’irritation de certains étudiants provenant de cet autre fait que, seuls, les étudiants ès lettres avaient été convoqués à l’inauguration de la nouvelle Faculté.

 

Dans la rue

Dès 9 heures, la rue de l’Université, la rue des Lois et la place du Peyrou sont envahies par les manifestants qui crient : « A bas Benoit ! Démission ! ».

Tout professeur qui arrive est salué du même cri qu’il est chargé de transmettre au doyen. La police essai d’imposer le silence aux étudiants, mais elle ne tarde pas à s’apercevoir que ses efforts sont inutiles.

 

A l’intérieur

A 10 heures, M. le recteur Perroud, suivi des professeurs des quatre Facultés, pénètre dans l’amphithéâtre, où sont assis déjà quelques invités et les étudiants ès lettres.

L’amphithéâtre n’est pas grand, et cependant il est loin d’être rempli.

Plusieurs bancs et plusieurs chaises sont inoccupés.

M. Perroud préside, ayant à sa droite M. le maire et à sa gauche M. le préfet.

Quatre discours sont prononcés : le premier par M. Duméril, l’ancien doyen de la Faculté des lettres, le prédécesseur de M. Benoit ; le second par M. Benoit lui-même ; le troisième par M. Perroud , le recteur ; le quatrième par M. Jaurès.

La tâche est rendue assez difficile aux orateurs par les cris qui viennent du dehors.

On ne cesse, en effet, d’entendre les cris de : « Démission ! Démission ! A bas benoit ! » entremêlés de coups de sifflets, de huées et de hurlements divers.

Cet accompagnement imprévu jette un froid dans l’assistance.

M. Perroud roule des yeux furibonds.

M. Benoit est très nerveux.

Le discours de ce dernier est, dans certains de ses passages, assez maladroits.

M. Benoit est un homme du Nord. Il tient à nous le faire savoir par quelques observations ironiques sur le naturel des toulousains.

Mon Dieu, nous nous expliquons parfaitement que le climat de Toulouse paraisse, depuis quelques jours, inclément à M. Benoit.

Mais il eut été habile de sa part de ne point lui-même nous le faire entendre.

A 11 heures un quart, tous les discours sont terminés.

 

La sortie

A la sortie, les cris de : « Démission ! Démission ! A bas Benoit », redoublent.

Mais, pour bien marquer qu’ils n’en veulent qu’à M. Benoit, les étudiants saluent de leurs applaudissements certains professeurs.

M. Duméril, l’ancien doyen, est, entre autre, l’objet d’une touchante manifestation qui montre bien l’estime et la sympathie dont la toujours entouré la jeunesse des écoles.

A son passage, tous les chapeaux se lèvent.

On cri : «  Vive Duméril ».

Les étudiants se pressent à ses côtés, lui serrent la main, veulent le porter en triomphe.

M. Duméril, très ému, les remercie et se dérobe à cette ovation pleine de cœur et d’enthousiasme.

Mais voici le tour de Benoit.

Il hésite à sortir, car à peine apparaît-il sur le seuil de la porte qu’il est accueilli par une explosion de huées.

M. Perroud le prie d’attendre et sort le premier pour essayer d’obtenir un peu de silence.

M. le recteur s’avance impétueusement vers les étudiants et leur crie d’une voix que la colère transforme en voix de cognac : « Respectez l’université ! ».

On lui répond par les cris de plus en plus nourris de : « A bas Benoit ! Démission ! », auxquels se joignent ceux de : « A bas le recteur ! ».

M. Perroud juge plus prudent de battre en retraite.

On fait alors monter M. Benoit en voiture.

Quand celle-ci passe devant les manifestants, elle est saluée d’un concert que l’on nous dispensera d’essayer de traduire.

Les étudiants la suivent en courant et en criant : « Enlevez-le ! ».

Le malheureux Benoit, rouge de fureur, semble comprendre, mais un peu tard, qu’on ne se moque pas impunément de la jeunesse et que l’injustice à son égard est ce qu’elle pardonne le moins.

En face la bibliothèque populaire, rue des Lois, et, au coin du Capitole, des coups de canne et des coups de poing sont échangés entre les jeunes gens qui manifestent et quelques étudiants ès lettres qui ont l’air de les blâmer.

On sépare les combattants.

Après quoi, les manifestants se déroulent, en monôme, sur la place du Capitole, aux cris de : « Démission ! A bas Benoit ! ».

 

Dans la journée

Les étudiants ont continué leur manifestation dans la journée. Ils ont parcouru les principales rues de Toulouse en demandant, sur le même air, la démission de M. Benoit.

Le soir, vers les six heures, ils se sont promenés, en rangs serrés, sur les allées Lafayette, en criant : «  C’est Benoit qu’il nous faut ! ».

 

Dans la soirée

Un diner d’inauguration a réuni, le soir, chez Tivollier, les représentants des diverses Facultés. M. Benoit s’y trouvant, les étudiants sont allés de nouveau manifester sous les fenêtres de l’hôtel. Durant tout le repas, ils n’ont cessé de siffler et de pousser le cri du jour : « A bas Benoit ! ».

Toutes les entrées de l’hôtel sont gardées par de nombreux sergents de ville.

Un moment, la foule veut pénétrer dans la salle du banquet. La police la contient difficilement. Quelques professeurs croient devoir se montrer aux fenêtres, le cigare à la bouche. Ils sont reçus par des huées, car l’on croit reconnaître parmi eux le malheureux Benoit.

On crie : « Il descendra ! Il descendra pas ! Il a son plumet ! Ramassez-le ! ».

La foule grossit.

Beaucoup de gens ignorent ce qui se passe et semblent très surpris.

On leur dit : «  C’est Benoit ! ».

Et les coups de sifflet se multiplient.

Une voiture qui veut s’arrêter devant l’hôtel est obligée d’aller déposer ailleurs ses voyageurs qui paraissent tout effarés.

 

Arrestations

La police opère, à un moment donné, plusieurs arrestations.

Mais elle est obligée de relâcher immédiatement ceux qu’elle arrête. Un jeune homme, cependant, est conduit par elle à la Permanence.

La foule le suit en criant : « Rendez-le ! ».

Elle envahit la cour. Là, une bagarre se produit. C’est à grand’peine que les agents font évacuer le Capitole. A l’heure où nous écrivons, le nombre des arrestations est de sept.

Les étudiants reviennent alors devant l’hôtel Tivollier, où ils recommencent « à conspuer Benoit ».

Nouvelles manifestations

On annonce pour aujourd’hui et pour les jours suivants de nouvelles manifestations contre le doyen de la Faculté des lettres.

Ce que réclament les étudiants, et ce qui nous paraît très juste, se réduit à ceci : « Ou l’annulation des dernières épreuves du baccalauréat ès lettres (1° partie), ou la démission de M. Benoit ».

 

La situation de M. Benoit

Le bruit courait, dans la soirée, que M. Benoit serait déplacé. Nous ne savons si la nouvelle est vraie. En tout cas, elle est vraisemblable. La situation de M. Benoit est aujourd’hui, intenable à Toulouse.

 

(L’Express du Midi – 18 novembre 1892)

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